INSIDE OPERA NOM D'UN FANTÔME !
La folle journée de la vie d’un fantôme…
Quel est encore ce vacarme ! À pareille heure ! Surtout un dimanche ! J’avais pourtant prévenu le Directeur de ne me déranger sous aucun prétexte ; je compose une œuvre qui fera date - une belle jeune fille qui tombe amoureuse de moi - mais j’ai besoin de calme … Impossible de respecter mon intimité, il profite de ma faiblesse pour inviter d’étranges individus sans mon consentement. J’enrage ! Celui-là, il ne perd rien pour attendre … Un nouveau décrochage de lustre, ça lui pend au nez … ha, ha !
Allons… calme-toi, dignité et discrétion ! Allons voir ce qu’il se passe dans mon royaume avant de prendre des mesures musicales de rétorsions… Je file dans ma loge privée - la numéro 5 mais pour combien de temps ? - pour évaluer la situation.
Incroyable, le rideau rouge est ouvert ! La scène béante et vide ne semble attendre personne… Derrière, le Foyer de la Danse est illuminé. Dans la salle, le grand lustre brille de mille feux … Ce n’est pourtant pas mon anniversaire ! Des pupitres gisent pitoyablement entre les fauteuils d’orchestre, des timbales vautrées dans une loge du premier narguent des trombones négligemment abandonnés et ça jacasse bruyamment aux portes des loges du deuxième balcon … Quelle pagaille ! Mais où est le régisseur ? Comment peut-on laisser mon amour, mon adorable opéra dans cet état ?
Je le surveille depuis un certain temps ce régisseur ! Un petit voyou qui semble influencer le Directeur avec des idées MODERNES ; il se gargarise de promouvoir la mise en place de nouvelles activités au sein de mon territoire. Je n’en peux plus, je crois que je vais déménager à la Bastille …
ESCAPE GAME, il n’a que ça à la bouche ! Mais c’est quoi encore cet anglicisme ? Sur mon Littré 1875 - excellente édition - je lis « Jeu d'évasion grandeur nature ». Ben voyons, moi je propose : l’escalade de la paroi nord jusqu’au poulailler puis descente en tyrolienne jusqu’au grand escalier !
Au secours ! J’ai ouïe dire que le but de ce jeu serait de chasser le Fantôme ! C’est à dire Moi ! C’en est trop, cet après midi je décroche le lustre … et hop, les trois cent soixante ampoules en miettes sur le tapis !
Non, non … il faut rester zen, mon cardiologue m’a conseillé de me ménager ; regardons le programme et observons la suite …
« Journée exceptionnelle à l’opéra le 28 octobre 2018 »
« Partez sur les traces du Fantôme de l'Opéra à travers un jeu grandeur nature immersif dans les espaces emblématiques du Palais Garnier et ressentez l'émotion d'un musicien au cœur d'un orchestre symphonique de 150 choristes et 50 musiciens, en immersion dans le Requiem de Mozart. »
Ça m’a l’air bien alléchant cette affiche !
Les musiciens se glissent au milieu des fauteuils d’orchestre, voici les Sopranes et Altis qui prennent place de part et d’autre dans les loges du second balcon encadrant les Basses et Ténors qui trônent fièrement dans les loges du centre. Un public joyeux, des familles, des enfants, des papys et mamys s’installent tout près des musiciens. Les chefs Zahia et Damien vont diriger successivement l’orchestre et chanteurs, m’a-t-on dit.
Cher Mozart, nous sommes prêts ! La cérémonie peut commencer : les premières notes de « l’Ave Verum Corpus » s’égrènent en douceur et baignent l’espace … Le public est fasciné par cette musique qui tombe du ciel. Merveilleux moment de communion … écouter un violoniste qui ne semble jouer que pour vous … émotion garantie ...
Puis les premières mesures du Requiem soutenues par les hommes éclatent comme un feu d’artifice ! Les spectateurs ne peuvent se retenir de tourner la tête pour découvrir les 150 choristes amateurs qui chantent passionnément pour l’offrir en cadeau au public. On voit dans leurs yeux, le bonheur et la fierté d’être là.
Les extraits du Requiem se succèdent comme les perles d’un collier sonore… Les dernières notes de la merveilleuse fugue de « l’Agnus Dei » s’envolent vers le plafond chatoyant de Chagall …
Le temps passe trop vite, le public adore ce moment de grâce et ne semble pas vouloir quitter ce lieu magique mais d’autres spectateurs attendent déjà avec impatience la représentation suivante ; ce sera ainsi jusqu’au soir… Et chacun emportera un peu de mon âme …
Je sais ouvrir mon domaine à ceux qui le méritent … Et aujourd’hui, je suis heureux d’avoir pu permettre aux amoureux de la musique de communier fraternellement.
Quelle folle journée ! Décidément le lustre restera encore en place aujourd’hui …
Bernard Morelet